18 October 2009

Par la bouche

Deux personnes extra-lucides ou extra-sensibles si on veut, m’ont dit que je n’étais « pas bien incarnée ». Pour me donner corps sans doute j’ouvre grand la bouche et j’ingurgite rôtis, volailles, gigues et cuissots, et même des cuisseaux pour faire plaisir à tout le monde ; je sens descendre dans ma gorge pâtes et pâtées, des crèmes, des veloutés ; ruisseaux frais, bulles grondantes, breuvages tanniques, floraux, minéraux, des sauces et des purées ; attention à ne pas glisser, vous aussi qui me regardez, dans mon gosier.
J’ai peut-être gardé plus que d’autres la marque de l’époque où je découvrais tout par la bouche, où mes doigts sans aucun doute potelés me servaient de passe-plat. Tant que j’avale, je ne parle pas. Je respire, je digère, je régurgite ce que je n’ai pas pu digérer. Parler, c’est vomir un peu.